La tolérance de fait

Dans la seconde partie du XVIIIe siècle, s’installe en France un régime de tolérance de fait à l’égard du protestantisme, avec toutefois quelques tragiques démentis.

La notion de liberté de conscience commence à s'imposer

L’influence de la philosophie des Lumières incite à plus de tolérance. L’époque est caractérisée par un régime de compromis, appelé par l’historien Daniel Roche « l’absolutisme éclairé ».

L’idée que les protestants français doivent réintégrer l’état de droit apparaît avec de plus en plus d’évidence. Elle est défendue notamment par Turgot, contrôleur général des finances et par Malesherbes qui est nommé, le 20 juillet 1775, secrétaire d’État de la Maison du roi, en charge du dossier protestant.

La répression antiprotestante s'affaiblit...

Le protestantisme français vit encore en théorie sous le régime des lois répressives dans le cadre de l’Édit de Fontainebleau de 1685 (Révocation de l’édit de Nantes). La loi n’a pas changé – la déclaration de 1724 de Louis XV renouvelle les interdits de l’édit de Fontainebleau – mais elle est appliquée avec moins de rigueur. Dans les faits, les peines sont moins lourdes et les contraintes moins astreignantes.

Les « nouveaux convertis » ne sont plus systématiquement contraints aux sacrements et au catéchisme catholique.

En ce qui concerne les mariages, à partir de 1760, de nombreux arrêts de parlements reconnaissent la qualité d’héritiers à des enfants de religionnaires qui ont été mariés « sans justes solennités » de l’Église (catholique).

Progressivement, les parents réformés ne sont plus inscrits comme « concubinaires » ou « fiancés » sur les registres de l’Église lors du baptême de leurs enfants.

La tolérance tacite tient largement aux circonstances : on manque de troupes dans les provinces pour faire exécuter les lois répressives en raison de la guerre étrangère ; et après la guerre, les assemblées sont devenues trop nombreuses pour que les poursuites aient un quelconque effet. Le comte de Saint-Florentin, tout en restant ferme sur le principe de la rigueur vis-à-vis des protestants, recommande de limiter la répression à quelques châtiments exemplaires.

Les positions se durcissent avec les revers essuyés par la France dans la guerre de Sept Ans (1756-1763) : les protestants sont soupçonnés d’être des ennemis de l’intérieur, partisans de l’Angleterre et de la Prusse. D’où les condamnations, et à nouveau les campagnes de rebaptisation forcée, les enlèvements d’enfants, les mariages au Désert cassés.

Mais les peines sont en général moins lourdes que prévu (plus de prison à vie ni de bagne).La tolérance vaut surtout dans les grandes villes et dans le Languedoc, où les protestants sont nombreux et bien intégrés ; la répression est plus forte dans les régions où ils sont dispersés.

Sous le règne de Louis XV, il y a 200 huguenots condamnés aux galères (tandis que sous le règne de Louis XIV, 1 500 galériens sont répertoriés). Ce n’est qu’en 1775 que les derniers forçats pour la foi sont libérés à la suite de l’intervention de Court de Gébelin, député général des Églises réformées.

Les trois dernières prisonnières de la Tour de Constance ne sont libérées qu’en janvier 1769.

En ce qui concerne leur situation au regard du droit, les protestants ne peuvent toujours pas exercer d’emploi public ni de charge municipale.

Ils doivent attendre l’édit dit de Tolérance (1787) pour obtenir la « tolérance civile », c’est-à-dire d’être reconnus comme sujets de droit, mais sans la liberté de culte ni accès aux charges.

… mais la situation reste précaire

Quelques faits manifestent que la législation royale reste toujours menaçante :

La pendaison du pasteur François Rochette, condamné au gibet le 18 février 1762 à Toulouse (ce sera le dernier pasteur à être condamné à mort), et la décapitation des frères Grenier, trois gentilhommes verriers qui avaient tenté de le sauver à Caussade.

L’affaire Calas : la condamnation de jean Calas par le parlement de Toulouse, roué vif le 10 mars 1762 ; il était accusé à tort d’avoir tué son fils sous le prétexte que celui-ci voulait abjurer sa foi protestante.

Mais l’affaire Calas a aussi un effet salutaire grâce à la campagne d’opinion dont elle a fait l’objet, à la suite de l’intervention de Voltaire pour faire réviser le procès et reconnaître l’innocence de Calas (1765).

Réorganisation progressive de l'Église

  • Antoine Court forme les jeunes pasteurs au séminaire de Lausanne
    Antoine Court forme les jeunes pasteurs au séminaire de Lausanne © Musée du Désert

En dépit de la répression qui persiste, de l’interdiction toujours en vigueur de tout exercice du culte, les assemblées clandestines se sont multipliées, sous l’influence notamment de l’action d’Antoine Court, et leur nombre les rend plus difficiles à contrôler.

Les synodes provinciaux et nationaux se développent progressivement, depuis le premier synode national convoqué dans le Vivarais en 1726 jusqu’au Synode national de 1763 qui rassemble les délégués de 19 provinces synodales. Petit à petit la « carte protestante » se reconstitue. Mais les contacts sont lents à s’établir entre les diverses organisations. Chaque communauté a tendance à s’autogérer sous la direction de laïcs qui sont le plus souvent des notables.

Les Églises du Désert gagnent en extension et en poids social. Après 1760, le nombre des pasteurs augmente : environ 100 en 1770, ils sont 180 en 1788. Leur situation est un peu moins précaire, dans la mesure où leur ministère, d’itinérant devient relativement sédentaire. La plupart d’entre eux a reçu une formation théologique au séminaire de Lausanne.

Court de Gébelin, fils d’Antoine Court, est nommé par le synode national de 1763 député général des Églises et il s’installe à Paris. C’est lui qui prend la direction des relations des Églises avec le pouvoir civil.

Rabaut-Saint-Etienne lui succède dans cette fonction en 1784, c’est lui qui négocie l’édit de Tolérance de 1787.

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